Contribution en mémoire de mon maître – Barouh dayan haemet Azriel ben Nahoum Kreiman dit Angel Kreiman Grand Rabbin de la communauté juive du Chili.
Il y a des moments, bien que nous sachions qu’ils arriveront tôt ou tard, auxquels nous ne sommes jamais préparés quand ils surviennent. Il y a, à peine une semaine que mon maître qui m’a enseigné les choses que je sais sur le judaïsme et qui m’a transmis sa passion pour le peuple juif, était venu passer quelques jours chez moi–chabbat compris. Et aujourd’hui, c’est avec un profond chagrin que je dois annoncer son décès à l’hôpital Racagua au Chili, dimanche dernier.
Pendant les nombreuses conversations que nous avons eues ensemble, il m’a souvent fait part du fait qu’il avait dépassé l’âge de 68 ans. Cet âge était celui de son mentor et modèle bien aimé, le Grand Rabbin Guillermo Schlesinger « zal » quand il s’est éteint. Angel, qui considérait la congrégation israélite de la République d’Argentine comme sa mère et qui avait pour le rabbin Schlesinger l’admiration et la dévotion que l’on peut ressentir pour un père, ne pouvait pas trouver pour lui même un grand secours dans le déterminisme qu’il s’imposait, quand il s’agissait d’affronter le grand mystère de la vie.
Il fut le premier Rabbin diplômé du séminaire rabbinique d’Amérique Latine, il y a de cela 40 ans. Il était juriste, diplômé de l’université de Buenos Aires et il obtint son doctorat de droit de l’université libre de Colombia. Il reçu également un doctorat honorifique en théologie par le Séminaire Théologique d’Amérique.
Entre 1970 et 1990, il fut le Grand Rabbin du Chili. Plus tard, Il a été nommé Rabbin de la Congrégation israélite de la République d’Argentine. Il fut également nommé vice-président du conseil mondial des synagogues et conseillé auprès du gouvernement des Etats-Unis sur tout ce qui concerne les affaires religieuses en Amérique Latine. En 1998, il visita la Jordanie où il fut reçu par le roi Hussein comme invité d’honneur. Ce voyage fut le point de départ du dialogue inter religieux entre le judaïsme et l’Islam en Amérique Latine.
Il fut un magnifique être humain, aimant et détestant, plein de qualités et de défauts. Il a offert à de nombreuses générations sa dévotion et son amour pour le Tout-puissant et la Torah d’Israël, travaillant dur et vivant une vie bien remplie. Sa vocation était de porter le judaïsme à l’humanité toute entière.
Il fut admiré, prié, incompris et souvent sous estimé mais il ne laissait jamais indifférent. Il avait besoin de capter l’attention; il voulait être différent, et en fait, il l’était. Ce n’est pas facile d’être différent dans un monde qui aspire à l’homogénéité. .
Il fut un homme d’étude, avec des goûts classiques et raffinés. Il pouvait cependant s’adapter aux situations et réalités les plus diverses grâce aux nombreuses facettes de sa personnalité. Il fit partie de la vie de nombreuses personnes: Bar et Bat mitzva, mariages, divorces, veuvages, deuils…et fut de toutes les situations qui font partie du cycle de nos vies.
Il fut une référence permanente et dévouée pour tout ce qui concerne le dialogue inter religieux et les droits de l’homme. Sa vie fut jalonnée d’événements politiques importants depuis son appartenance au Vicaria de la Solidaridad qui défendait les droits de l’homme sous la dictature de Pinochet jusqu’à son amitié avec des personnalités importantes des gouvernements qui ont suivi. Il reçu de nombreux prix nationaux et internationaux tel que celui dont l’honora l’Eglise Catholique du Chili pour sa collaboration en faveur de la dignité humaine.
Il rencontra de nombreux chefs d’Etat et l’histoire de sa vie est enregistrée à la Bibliothèque de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Mais, ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était de recevoir, de préparer et décorer une table magnifique et d’y déposer des mets délicieux qu’il avait cuisinait avec amour.
La communauté juive du Chili à laquelle il se dévoua pendant 40 ans et dont il devint le Grand Rabbin pendant 22 ans, ne sera jamais capable de mesurer combien son travail altruiste a pu la façonner.
Il y eu de nombreux faits marquants dans la vie d’Angel, ses trois filles et sa femme Suzy « zal », qui lui apporta tant d’équilibre et qui fut assassinée lors de l’attentat terroriste d’Amia en 1994 à Buenos Aires, ce qui bouleversa sa vie à jamais.
Ces dernières années, il s’était installé à Jérusalem, à deux blocs de distance de la Grande Synagogue, où – comme d’habitude, il était admiré et reconnu pour sa présence, son élégance, sa connaissance de la liturgie et sa capacité à créer des liens.
Pendant ses dernières années, il s’était rapproché du judaïsme orthodoxe; Je devine que son goût et son style pour le classique ont quelque chose à voir avec ça même si son esprit libre devait s’accommoder avec de telles contradictions.
Un jour, il me choisit comme disciple. Il m’enseigna, avec succès et échecs, sa façon de vivre le judaïsme. J’ai appris à choisir le bien et à être reconnaissant pour ce qu’il m’a donné comme maître et comme ami.
« Le Juste doit vivre par sa foi. Vous avez vécu par la votre, et ainsi vous nous avez éclairés avec les ombres et les lumières ».
Ecrit pas Miguel Steuermann, élve et ami de Rabbi Kreiman « zal »
Directeur Général de Radio Jai – Argentine
Représentant d’Afikim pour l’Amérique du Sud